L’emblématique bistro parisien est-il en train de mourir?

Jovanovic et Georges Cano déjeunent ensemble depuis 15 ans. Dans le même bistro. En même temps. Presque tous les jours.

Au Bistrot du Peintre, alors que chaque client qui franchit le seuil est accueilli par un ” bonjour ” lumineux et joyeux, les habitués sont accueillis par leur nom et les mains tendues pour des poignées de main rapides et fermes ou des baisers entre les joues français habituels.

C’est cette culture parisienne unique qu’Alain Fontaine veut préserver et protéger. Le chef et restaurateur a lancé une campagne très médiatisée pour obtenir le statut de patrimoine culturel immatériel de l’Unesco pour l’art de vivre que l’on trouve dans les bistrots et terrasses de cafés de Paris.

Parce qu’au cours des dernières décennies, cette institution sociale a été menacée, se lamente Fontaine, déplacée par ce qu’il décrit comme un monde de plus en plus connecté – et déconnecté.

Il y a une trentaine d’années, les bistros représentaient environ la moitié des restaurants parisiens, explique Fontaine, dont l’initiative est soutenue par les syndicats, la mairie, les journalistes et les artistes.

La culture du bistro fait depuis longtemps partie de la mythologie parisienne, popularisée par des grands de la littérature et de la philosophie comme Ernest Hemingway, F Scott Fitzgerald, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir qui ont fait des bistrots et des cafés leurs résidences secondaires et leurs bureaux.

Mais un examen plus approfondi de son histoire révèle que le bistro parisien classique n’a pas été créé par des Parisiens entreprenants, mais par leurs compatriotes de la région Auvergne, qui se sont déracinés en masse dans la capitale française pendant la révolution industrielle à la recherche d’un emploi.

A Paris, ils occuperaient les échelons les plus bas de la société, faisant le travail que personne d’autre ne voulait : les porteurs d’eau pour les bains publics, la livraison du charbon et le nettoyage des sols.

Finalement, les plus entreprenants d’entre eux ouvriraient des ” cafés au charbon ” à double fonction : le mari livrerait du charbon, tandis que la femme vendrait du café, du vin et de la bière à ses concitoyens de la classe ouvrière. Le concept évoluera plus tard pour inclure des repas modestes, préparés à la maison, à des prix abordables pour les travailleurs.

C’est cet esprit de congrégation que Fontaine cherche désespérément à préserver.

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Au fil des ans, dit-il, l’institution emblématique s’est perdue en raison de l’évolution des habitudes alimentaires, des influences étrangères et des nouvelles technologies.

Des chaînes de restauration rapide multinationales comme Starbucks, Chipotle, Pret A Manger et plus récemment Five Guys ont planté leurs drapeaux dans la capitale française, séduisant les jeunes avec leurs marques anglo-saxonnes à la mode. Les services de livraison de nourriture comme UberEats et Deliveroo gardent les gens à la maison et à l’extérieur des restaurants. Dans certaines parties de Paris, les loyers élevés ont presque complètement écrasé les bistrots.

Et malgré le mouvement #tousaubistro après les attentats terroristes de 2015, les entreprises ont été durement touchées dans les mois qui ont suivi, selon Fontaine.

“Ce que nous voulons défendre, c’est cet art de vivre dans le bistro qui nous permet de vivre ensemble, d’échanger ensemble, ce creuset culturel.”

Il s’insurge également contre l’influence croissante des déjeuners de bureau anglo-saxons sur les lieux de travail français, qui font partie d’une épidémie plus vaste dans laquelle les gens se déconnectent de leurs amis et collègues pour manger seuls devant un écran.

Pour sa part, Jovanovic croit toujours au respect du caractère sacré de l’heure du déjeuner français.

“Le bistro est ma bulle d’oxygène où je peux respirer. J’ai un travail où il y a beaucoup de pression et qui peut être stressant. Je viens ici pour me vider la tête et changer mon environnement.”

Selon Fontaine, la marque d’un véritable bistro authentique est l’existence d’un bar fonctionnel qui invite les gens à se rassembler et à socialiser.

Pour Jovanovic, le zinc bar du bistro est son lieu de repas préféré, un endroit où il peut condenser un repas et une conversation animée en l’espace d’une heure.

“C’est aussi comme ça que j’ai rencontré Georges, au comptoir, au cours de la spéciale du jour, dit-il.

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Hervé Bonal, propriétaire du Bistrot du Peintre, partage l’interprétation de Fontaine sur le rôle du barreau dans la communauté, après avoir travaillé derrière lui pendant 27 ans.

“Au comptoir, tout le monde est égal”, a-t-il dit. “Souvent, des étrangers finissent par parler entre eux, du président des États-Unis, du président de la France, de la crise financière et de la dernière voiture qui vient de sortir. Chacun a le droit de donner son opinion. C’est pourquoi nous l’appelons le parlement du peuple.”

A côté du bistro, la demande de statut de l’Unesco soulignera également l’importance des terrasses extérieures de Paris, où des rangées de chaises en rotin sont placées stratégiquement pour faire face à la rue, transformant les trottoirs en théâtres en plein air.

Ici, le spectacle n’a ni début ni fin, et la distribution des personnages change constamment, qu’il s’agisse d’une femme berçant un bouquet de fleurs sortant à gauche ou d’un père tenant la main de sa jeune fille entrant en scène, scène à droite.

En français, le sport de spectateur qui consiste à observer les gens sur une terrasse extérieure a sa propre expression : flâner en terrasse. Il y a un art qui exige du praticien qu’il ralentisse, qu’il reste assis et qu’il se permette le luxe d’être oisif.

C’est peut-être l’expérience parisienne que les visiteurs de la ville sont les plus rapides à clouer, peut-être parce qu’ils comprennent vite à quel point elle peut être divertissante et réparatrice.

Dans le 3ème arrondissement, Sylvia Krouheim s’est emparée de l’immobilier de premier ordre sur la terrasse extérieure du bistro Le Barbouille. C’est un passe-temps parisien que le natif d’Allemagne a heureusement adopté comme un rituel régulier du week-end à Paris. La retraitée partage son temps entre Cologne et la capitale française.

“Je viens prendre un verre et regarder les gens”, dit-elle. “Nous avons des cafés en Allemagne, mais pas cette culture de l’oisiveté et de l’observation des gens. J’aime ça.”

En attendant, pour être clair, un bistro n’est pas à confondre avec son cousin fantaisiste, la brasserie, ajoute Fontaine. La brasserie se caractérise par une architecture et un décor décoratif Art Nouveau, des nappes en lin, des serveurs boutonnés, un service haut de gamme – et des prix assortis.

De même, la marque d’un véritable bistro de quartier est celle qui est ouverte du matin jusqu’au soir (de 07:00 à 22:00, par exemple) avec un service continu.

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Les plats traditionnels du bistro sont des plats réconfortants de l’enfance française collective – bœuf bourguignon, ragoût de veau, mousse au chocolat, crème caramel – et dont le prix est modeste pour le rendre accessible à tous.

La cuisine se distingue également de la “bistronomie”, que Fontaine décrit comme de la nourriture de bistro à prix haute gastronomie.

Il souligne que dans le dossier de l’Unesco, l’alimentation ne jouera guère plus qu’un rôle de soutien. Au lieu de cela, des bistrots et des terrasses de cafés seront présentés comme le cœur des communautés de quartier à Paris – littéralement, dans certains cas.

Le bistro est aussi un lieu de rencontre cinématographique. Bonal lui-même a rencontré sa femme au bistro quand elle était au restaurant. C’était il y a 23 ans. Mais il peut aussi servir de lieu de rencontre secrète pour les amateurs de drogues illicites. Bonal raconte la fois où un couple adultère s’est fait prendre dans son bistro. Il y a eu des larmes, des cris et des portes claquées, se souvient-il se souvient.

Pendant ce temps, Fontaine doit faire face à une concurrence acharnée pour obtenir le statut de patrimoine mondial de l’Unesco. Des campagnes similaires ont été organisées pour les iconiques toits gris de Paris et les librairies en plein air. Les groupes ont jusqu’à cet automne pour soumettre leur dossier au ministère de la Culture, qui choisira ensuite la cause à présenter à l’Unesco en mars 2019.

Pour les bistrotiers, obtenir la reconnaissance de l’Unesco aiderait à restaurer la fierté et à officialiser le rôle du bistro dans le quartier, dit Fontaine.

Le but ultime est que les jeunes générations perpétuent la tradition et que les nouveaux bistrotiers maintiennent en vie l’art de vivre et l’esprit original du bistro.

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